Jacques Ferrandez, connu pour ses célèbres Carnets d'Orient et son travail sur l'Algérie, revient ici à ses premières amours : le voyage, l'histoire et l'Orient, à travers le prisme d'un personnage historique méconnu. L'album retrace la vie romancée de Théodore Lascaris (né à Nice vers 1770), un personnage fascinant. Descendant, dit-on, des empereurs de Byzance, sa vie est un mélange d'art, d'aventure et d'espionnage au tournant du XIXe siècle. L'action commence à Nice en septembre 1792, alors que la France révolutionnaire déclare la guerre et que les armées se préparent à envahir le Comté de Nice (qui était alors Piémont-Sardaigne). Théodore est dépeint comme un jeune homme insouciant, artiste-peintre et musicien, qui sent grandir en lui un désir d'aventure et de liberté face aux troubles de la Révolution. Craignant pour sa vie d'aristocrate, ce bouleversement historique est le prétexte idéal pour larguer les amarres. Le voyage de Théodore commence à Vintimille, puis il s'embarque pour Malte (où il est Chevalier de l'ordre de Malte), avant de mettre le cap sur l'Orient. Lascaris se retrouve embarqué avec les troupes de Napoléon Bonaparte lors de la célèbre Campagne d'Égypte (1798). L'album explore l'ambition et la démesure de cette expédition qui est, du point de vue de Ferrandez, un véritable "fiasco en rase campagne" malgré ses aspects glorieux et archéologiques. Grâce à sa connaissance des langues (il apprend l'arabe) et du terrain, Lascaris est mandaté par le consul de France (Drovetti) pour faire du renseignement et de l'espionnage pour le compte de Bonaparte. Il opère sous la couverture d'un marchand d'étoffes afin de recueillir des informations auprès des Bédouins.

L'album conjugue brillamment les faits historiques (la présence de savants, les batailles, la découverte de la Pierre de Rosette) avec la vie quotidienne de Théodore, entre les rencontres, sa passion pour la musique égyptienne, et son rôle d'espion. Le tome s'achève avec la fin de la campagne d'Égypte, laissant Théodore désorienté. Ce premier volume pose Lascaris comme un "Lawrence d'Arabie avant l'heure," un homme pris dans des enjeux géopolitiques qui le dépassent et qui le poussent vers d'autres horizons. L'utilisation de l'aquarelle (à la manière de ses Carnets d'Orient) confère à l'album une lumière exceptionnelle et une texture sensuelle. Le dessin sent la mer, la poussière, la peau et la lumière, rendant le voyage palpable. L'auteur, s'appuyant sur des archives et des dessins préparatoires, reconstitue avec une minutie historique les décors de Nice à l'Égypte, les costumes et l'agitation des villes. Les 144 pages fourmillent de détails, de rencontres, de décors somptueux. Le grand format (24 x 32 cm) permet aux planches de respirer et de mettre en valeur les paysages. Le récit de l'aventure de Théodore Lascaris se poursuivra dans le tome 2, qui explorera d'autres "orients perdus" où la France nourrissait des ambitions.