Après nous avoir totalement séduits avec ses deux diptyques précédents, "Giant" et "Bootblack", l'artiste franco-canadien continue sa plongée dans le New York des années 30-40, celui des ouvriers des gratte-ciels, des gamins des rues, de la prohibition et de la pègre. Nous sommes à New York en 1931. Son héros est ici une héroïne, Stephanie St Clair, connue de tous sous le surnom de Quennie. Partie de rien, cette jeune femme intelligente et au caractère bien trempé a bâti un petit empire à Harlem grâce à la loterie clandestine qu'elle gère de bout en bout. Quennie est inspirée de la Martiniquaise qui est née en 1897 et morte en 1969, reine mafieuse dans un monde exclusivement masculin et sans pitié où la loi du plus fort dominait sur toute autre considération. Nous sommes immergés dans le quartier situé au nord de Manhattan, ses boîtes, ses querelles de gangs mais aussi dans l'esprit de la "Harlem Renaissance" -actif entre les années 20 et les années 40- , mouvement d'intellectuels et d'artistes noirs souhaitant redéfinir leur statut au sein du pays et se débarrasser du carcan de valeurs morales imposées par les Blancs.

Mikaël met en avant dans ces bandes dessinées l'envers du rêve américain et la dure réalité qu'ont affronté les Noirs une fois libérés de l'esclavage. La pauvreté, le racisme, la violence policière des Blancs envers la communauté noire et dénoncée par Quennie font des ravages à Harlem comme ailleurs. Outre la Police, Queenie devra aussi se méfier de la mafia blanche, en particulier Dutch Schultz (dit le Hollandais) qui aimerait faire main basse sur son empire. Le combat de cette femme exceptionnelle pour devenir quelqu'un et redonner de la fierté aux Noirs New-Yorkais est admirablement mis en scène et en dessin par Mikaël qui excelle dans la restitution de cette époque. La prédominance des tons bruns pour Harlem et bleus-noirs pour l'enfance de Quennie donnent en outre une épaisseur et un côté charnel à l'ensemble, avec un scénario encore une fois parfaitement maîtrisé par l'artiste !